Elle est splendide, faite sur mesure pour Yussi. J’ai commandé cette selle chez un des meilleurs selliers australiens et j’ai fait
incruster de l’émeu pour la personnaliser.
C’est un rêve vieux de quarante ans qui se réalise : la combinaison d’une selle de rando & la position de dressage. Mes
économies y sont passées (gloups) et je suis ravie de ma selle.
J’arrive au box avec le tapis bordeaux, la sangle néoprène et la selle avec les « poleys », ces espèces d’oreilles à l’avant
des selles australiennes. Yussi renifle le tout que j’ai posé sur la porte du box, elle connait, son odeur y est déjà. Je mets le tapis sur son dos et me retourne pour prendre la selle. Le tapis
a du glisser et est par terre. Je remets le tapis puis la selle et me retourne pour prendre la sangle. Selle et tapis sont par terre, Yussi est au fond du box contre le mur. Heureusement qu’il y
a de la paille par terre, la belle selle n’est pas griffée. Je la ramasse et au moment de la remettre sur son dos la jument fait mine de me mordre. Elle n’osera jamais mordre, elle sait qu’elle
ne peut pas, je continue ! Au serrage de la sangle elle a les oreilles dans le crin, elle fouette de la queue et elle tape du pied par terre.
C’est la dixième fois qu’elle fait ce cirque. Suis-je sourde et aveugle ? Ou bien est-ce que je refuse d’entendre et de
voir ? Pourtant le message est clair. Combien de temps m’aura-t-il fallu pour ranger cette selle, pour finalement m’ouvrir assez à écouter Yussi et respecter ce qu’elle exprime ?
Comment ai-je pu si longtemps ignorer ce que les chevaux criaient dans leur langue ?
Et du jour au lendemain ce sont des pans entiers des murs entourant ma conscience qui tombent et les conséquences en domino entrainent
la chute du reste : un édifice de croyances du genre « le cheval doit travailler pour payer sa croute », « il me coûte de l’argent donc je décide », « je suis le
chef et le cheval doit obéir », « un cheval doit être poli et sage, bien mis », « l’humain est le leader », « l’humain est un prédateur pour le cheval »…
Bold Rainbow Dancer alias Pico
Si un cheval « sait » avec autant de finesse ou nous avons mal, s’il réagit avec une précision minute à nos états d’âme,
alors il sait avec la même justesse, odeur de carnivore ou pas, si nous venons pour l’emmener à l’abattoir ou si nous venons vers lui pour une reprise ou pour une promenade là ou l’herbe est plus
verte, avec ou sans selle.
Le cheval qui se comporte envers l’humain comme si celui-ci était un dangereux prédateur est à mon avis un cheval qui a eu affaire à la
violence humaine et aux multiples moyens de torture que l’humain met en œuvre pour arriver à ses fins, consciemment ou non. C’est paradoxal car le cheval est un être qui tape plus fort et qui a
le bras plus long que l’humain, qui a une masse corporelle importante et une puissance herculéenne, qui court plus vite, qui a une vitesse de réaction incomparable… bref, un être physiquement de
loin supérieur à l’humain.
Rainbow Appaloosa 2012
Sa puissance physique est une des premières choses qu’on remarque à propos du cheval. Cette puissance est souvent associée au pouvoir.
Malheureusement dans les cultures occidentales le mot pouvoir est associé à « abus de pouvoir », « prise de pouvoir », « pouvoir sur » etc.
Un humain sur le dos d’un cheval se sent grand, rapide, fort, libre et puissant. Il est toutefois une distinction de taille à faire,
l’humain sur le dos d’un cheval sellé (tout le poids sur 50 cm carrés de chair), sanglé (poumons comprimés), enrêné (mobilité de la tête réduite), avec un mors dans la partie la plus délicate de
la bouche, l’humain avec une cravache dans la main et des éperons aux talons pour tenir la bête, peut bien se sentir fort et puissant!
Pico et Marie P.
Un humain sur le dos d’un cheval libre dans de vastes espaces de nature, sur un cheval nu avec seulement la crinière pour se tenir, cet
humain là se sent humble, fragile, dans un équilibre précaire et à la merci de la bonne volonté du cheval, ce qui n’est pas peu dire étant donné l’émotivité et la rapidité de celui-ci.
Marie-Claire et Pico
Rien que pour arriver sur le dos de ce cheval vraiment libre l'humain doit déployer des trésors de patience et de douceur, intéresser
le cheval, tisser du lien réciproque avec lui et devenir un ami au sens noble du terme. L’amitié d’un cheval nous enseigne comment contacter notre puissance, à accéder au pouvoir propre, au
pouvoir être, au pouvoir exister, à notre humanité avec humilité et dignité.
Rien à voir avec arriver au centre équestre, seller un cheval au box, l'emmener dans le manège ou la carrière et mettre le pied à
l'étrier!
Combien de cavaliers de nos jours ont tenté la rencontre avec un cheval libre? Je ne parle pas d’aller chercher dans le petit pré
d’un demi hectare le cheval bien cassé qui a balladé des gamins tout le week end et qui ne sent plus sa bouche, celui qui s’en fiche complètement, ce cheval résigné qui ne se bat plus, ce cheval
qui « dissocie » instantanément et qui ne sait même plus pourquoi.
Combien de cavaliers ou cavalières d’entre vous qui lisez ceci ont tenté d’aller vers un cheval qui a vécu toute sa vie dehors dans de
grands espaces sans rien dans les mains (ni dans les poches). Combien de temps vous a-t-il fallu pour que ce cheval vienne vous renifler ? Combien de temps pour qu’il accepte une gratouille
sur l’encolure ? Combien de temps encore, toujours en totale liberté pour que vous puissiez prendre ses pieds… je ne parle même pas de grimper sur son dos ?
Surprise A Rainbow alias Tepïn, et Marian
Vous trouverez des indices de réponse sur le superbe site de Virginie Bernhard qui vaut le détour ici : http://www.winchikala.com/actualite/virginie-et-les-przewalski
Quiconque a déjà monté un cheval, sait qu’au trot il est presque impossible de tenir sur son dos, et que les mouvements d’un cheval en
liberté sont aussi imprévisibles que soudains, c’est d’ailleurs pour pallier à cette difficulté que la selle a été inventée et que l’humain a mis un mors dans la bouche du cheval. Ces
premiers cavaliers ont vite compris que le moyen le plus « efficace » de maitriser les chevaux était de les contenir par des moyens mécaniques douloureux.
Rock My Nugget, Pico, Marine, Do, Jordani et Kamali
Le cheval particulièrement résilient, a vite compris que moins il se rebiffe moins il souffre, surtout équipé de ces appareillages.
Personnellement je ne trouve aucune grâce ni beauté à voir un cheval sous la main, bouche moussante, langue bleue et pendante, naseaux dilatés, toutes veines prêtes à éclater sous la délicate
peau en sueur, ou attaché entre les deux poteaux, soumis, pour exécuter à l’ordre d’un écuyer une capriole ou une levade. Parlons du dressage et du sentiment de faire corps (avec une selle
sanglée entre lui et le cavalier…). Quel cavalier-e n’a rêvé du centaure ?
Actuellement des millions de chevaux et poneys dans le monde vivent dans des clubs ou ils sont montés quotidiennement par des débutants
qui leur détruisent le dos et la bouche… les rêves de centaure de qui ??? Est-ce qu’un cheval rêverait de centaure ? Il pourrait mettre son corps et sa force, sa grâce et sa rapidité à
disposition d’une partie supérieure de lui-même qui le torture… façon de parler, le cavalier ne fera jamais partie du cheval même si il peut prétendre parfois faire corps avec !
Thérèse et Kamali
D’autres millions de chevaux sont harnachés dès leur plus jeune âge et mis à la charrue ou a la charrette pour porter, transporter,
emmener, tirer… ceux là ont tous des malformations du squelette et des pathologies de croissance : le bagne des poulains. Plus près de chez nous c'est le débourrage à deux ans, alors que la
croissance du squelette ne se termine pas avant l'âge de cinq ans.
Lorsque nous osons aborder le cheval libre et qu’une fois sur mille demandes il accepte de nous laisser nous glisser délicatement sur
son dos, et que ce cheval se meut à son propre rythme et qu’il commence à galoper, c’est notre âme qui prend son envol, notre cœur s’accorde au tambour des sabots sur le Sein Sacré de la Terre.
Le paysage défile, les yeux coulent de sel heureux pour un passage fulgurant entre les mondes au-delà des sensations ordinaires.
Je vous parle de cet instant de grâce qui représente une fraction infinitésimale dans ma relation aux chevaux pour deux raisons. La
première pour vous inviter à revoir comment vous vous imposez sur le dos d’un cheval. La deuxième pour vous inviter à mettre pied à terre et à le rencontrer d’égal à égal.
La "petite" Marie et Yussi
Suite au prochain épisode...
Dominique Cuyvers
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Photo Christine Tisserand et Dominique Cuyvers
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